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Qu'est-ce que c'est?
Théodore
Schwenk
Le chaos sensible, Triades 1982 |
Une méduse? Non: seulement une cloche d'eau chaude rendue visible par un colorant qui monte doucement dans de l'eau plus froide en laissant derrière elle des traînées filamenteuses d'eau refroidie. Voici maintenant de vraies méduses:
On s'y tromperait. Certains animaux sont très proches de l'état liquide. Une méduse, c'est de l'eau à presque 99%. Sa dénomination anglaise est plus évocatrice: jelly-fish, le poisson-gelée. C'est bien l'impression que cela donne quand on touche son corps (en évitant si possible les filaments urticants), de la gelée. C'est mou, et pourtant l'animal est capable de mouvements, contracter son ombrelle pour se déplacer, étendre ou rétracter ses filaments pour atteindre des proies. C'est comme si ces êtres portaient encore dans leur corps, bien visible, la trace des mouvements de l'eau qui les ont engendrés, comme s'ils n'étaient qu'une surface de démarcation dans de la matière fluide délimitant un volume qui au fil du temps est devenu de plus en plus autonome.
Les fluides, que ce soit l'air ou l'eau, ont une grande facilité à former des surfaces de démarcation stables. D'infimes différences suffisent: de température (entre de l'air chaud et de l'air froid par exemple), de densité (entre de l'eau salée et de l'eau douce), de vitesse (deux courants peuvent se rencontrer sans se mélanger, comme le montrent ces nuages qui semblent se croiser mais qui en fait ne se situent pas à la même altitude, poussés par des vents soufflant dans des directions différentes). Il arrive que ces surfaces délimitent des volumes qui eux aussi peuvent rester stables malgré un flux continuel de matière autour voire au travers. Voilà donc des structures dont la persistance et la résistance ne proviennent pas en premier lieu de l'habituel antagonisme tension-compression.
La réalisation de structures qui ne soient pas fondées sur le jeu tension-compression n'est pas toute neuve dans l'histoire des techniques. Le principe a été mis en uvre avec succès il y a déjà plusieurs siècles sans peut-être en avoir bien conscience. Les ballons sont ainsi faits, qu'ils soient à air chaud ou à gaz plus légers que l'air. Par exemple dans un ballon à air chaud la membrane ne fait que matérialiser une surface de démarcation entre des fluides identiques mais de températures et donc de densités différentes. Les deux paragraphes qui suivent et que j'invite tous les allergiques aux maths à éviter, montrent notamment:
- qu'il existe tout de même une très légère surpression à l'intérieur du ballon (c'est d'ailleurs ce qui lui donne sa forme quasi sphérique et le fait monter), mais elle n'est pas première comme dans une structure gonflable (qui est quant à elle l'effet d'un jeu antagoniste tension de la membrane et compression du fluide), elle est consécutive à la différence de densité;
- que les nuages comme les cumulus sont engendrés exactement de la même manière: la surface, rendue visible par condensation de l'eau, est une surface de démarcation entre deux fluides de températures différentes.
On a tous appris qu'un ballon monte dans l'air pour la même raison qu'un bateau flotte, grâce à la poussée d'Archimède: tout corps plongé dans un fluide subit une poussée verticale de bas en haut égale au poids du volume de fluide déplacé. Si ledit corps est plus léger que cette poussée, il s'élève. En fait, cette loi à une cause plus profonde, à savoir la différence de pression dans le fluide entre le bas de l'objet et le haut.
La pression dans un fluide non contraint (par opposition à, par exemple, des inclusions dans de la matière solide) soumis à la seule action de la force de gravité n'est rien d'autre que le poids par unité de surface de la colonne de fluide située au-dessus.
Considérons un petit élément de volume situé à hauteur h (mesurée à partir du fond) de surface S et de hauteur dh dans un fluide de densité D(h) :
Selon la définition ci-dessus de la pression, avec g pour l'accélération de la pesanteur:
La force ascensionnelle sur cet élément de volume vaut:
soit:
S dh correspond au volume, donc S D(h) dh correspond à la masse, et par conséquent S D(h) g dh au poids. Conclusion: la force ascentionnelle est égale au poids de volume de fluide déplacé. C'est bien le principe d'Archimède.
Pour simplifier, assimilons le ballon à une colonne de hauteur H, de surface horizontale S entourée d'une membrane de poids négligeable fermée en haut et ouverte en bas. Appelons Pint(h) et Pext(h) respectivement la pression à l'intérieur et à l'extérieur à la hauteur h.
Puisque la colonne est ouverte en bas: Pint(0) = Pext(0)
Quelle est la pression en haut du ballon, à la hauteur H? La formule s'écrit pareillement pour l'extérieur et pour l'intérieur:
>
Le second membre de cette équation vaut D g H.
Donc:
qui se réduit à:
Conclusion: le ballon monte grâce à une différence de pression au sommet consécutive à une différence de densité entre le gaz à l'intérieur et le gaz à l'extérieur.
Comme hypothèse supplémentaire, assimilons l'air à un gaz parfait:
donc:
où M est la masse molaire, soit 0,029 kg/mole pour l'air sec
Cette dernière équation relie la densité à la température et à la masse molaire (et aussi à la pression histoire de compliquer encore un peu les choses). Donc une différence de densité peut être créée de deux manières: par une différence de température (M constant, T qui varie) ou par une différence de composition (T constant, M qui varie).
Dans le premier cas, c'est le principe du ballon à air chaud ou montgolfière: une différence de température crée une différence de densité qui se traduit par une différence de pression au sommet du ballon entre l'intérieur et l'extérieur.
Cette légère surpression intérieure a deux effets:
1. maintenir le ballon gonflé bien qu'il soit ouvert en bas;
2. le soulever avec une force ascensionnelle valant:
Pour avoir un ordre de grandeur prenons: une hauteur de 10 m, une surface de 100 m² (soit un volume de 1000 mètres cubes); une température extérieure de 20°C (soit 293°K) et intérieure de 100°C (373°K) uniformément répartie (la température maximale de fonctionnement d'un ballon à air chaud moderne est limitée à 120°C par le matériau de la membrane, en général du nylon). Je vous fais grâce des calculs qui aboutissent à une différence de pression de l'ordre de 0,25 g/cm², d'où une force ascensionnelle d'environ 250 kilos. Ce n'est pas beaucoup mais c'est suffisant pour une personne. Pour trois ou quatre personnes, il faut un ballon d'environ 2500 mètres cubes qui peut soulever près de 700 kilos, et pour un très gros ballon capable d'emporter une douzaine de personnes il faut compter 15 000 mètres cubes.
Dans un ballon rempli de gaz plus léger que l'air comme l'hélium ou l'hydrogène, c'est la différence de composition qui procure la force ascensionnelle. J'insiste, il est seulement rempli et pas gonflé, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de surpression intérieure introduite au départ. On le devine sur cette photo d'un ballon météo prêt à être lâché:
La gaz s'accumule en haut où il arrondit le ballon et le pousse vers le ciel tandis qu'en bas la membrane pend mollement.
Dans un tel ballon la température est la même partout et la différence de densité est due à la différence de masse molaire entre l'air et le gaz enfermé: 0,029 kg/mole pour l'air sec, 0,004 kg/mole pour l'hélium et 0,002 pour le gaz hydrogène. Là encore je vous fais grâce des calculs: la différence de pression entre l'intérieur et l'extérieur au sommet du ballon engendrée par cette différence de densité est de l'ordre de 100 pascals pour une hauteur de 10 m soit environ 1 g/cm² en unités non orthodoxes mais plus parlantes.
Il existe de nombreux types de nuages auxquels correspondent différents modes de création. Je ne vais m'intéresser ici qu'à un seul, le cumulus, pour sa similarité avec le principe de fonctionnement des ballons.
L'été, en milieu de journée, le Soleil frappe le sol selon un angle assez proche de la verticale, d'où une efficacité maximale. Le sol chauffe et, en fonction de la géologie et de la couverture végétale, transmet plus ou moins sa chaleur à l'air environnant. De véritables bulles d'air chaud se forment là où le transfert de chaleur est le plus efficace, au-dessus des champs plutôt qu'au-dessus des arbres. Elles se mettent en mouvement comme des ballons à air chaud: une différence de température créée une différence de densité qui crée une différence de pression qui crée une force ascensionnelle. Se forment de véritables courants vers le haut que l'on appelle des ascendances. Les rapaces nous montrent bien leur existence: en se plaçant précisément dedans ils prennent très vite de l'altitude sans le moindre battement d'ailes. Certains de ces courants sont si forts qu'à leur tour les pilotes de planeurs et de parapentes ont appris à s'en servir pour s'élever (ce n'est pas le seul type d'ascendances, il en existe aussi engendrées par le vent qui vient buter sur certains reliefs).
Que se passe-t-il lorsque cette bulle d'air qui monte du sol est chargée d'humidité? Remarquons tout d'abord que la masse molaire de la vapeur d'eau est notablement inférieure à celle des principaux constituants de l'air: seulement 18 g/mole contre 28 pour l'azote et 32 pour l'oxygène. Donc la bulle d'air chaud et humide a doublement tendance à s'élever dans de l'air plus froid et plus sec.
D'autre part, on sait que plus l'altitude est élevée plus la température est basse. Vient donc le moment où la bulle atteint l'altitude correspondant au point de condensation de la vapeur d'eau. C'est le même phénomène que l'on observe au-dessus d'une marmite où de l'eau bout. Au contact de l'air extérieur plus froid, l'eau passe de l'état de vapeur à l'état liquide et devient visible sous forme d'un petit nuage. Les nuages dans le ciel se forment exactement de la même manière: dans de l'air plus froid, l'eau sous forme de vapeur se condense en d'innombrables gouttelettes d'eau (voire de glace si la température est très basse). Ainsi apparaît le cumulus.
La dynamique du nuage ne s'arrête pas là. Sa surface se refroidit par rapport à l'intérieur tandis que des bulles chaudes continuent de monter. C'est ce qui donne au cumulus cet aspect bourgeonnant avec d'innombrables volutes tourbillonnantes et des retombées.
Ces nuages disparaissent progressivement dès qu'ils cessent d'être alimentés depuis le sol en air chaud et humide. C'est ainsi que le soir venu le ciel redevient clair, jusqu'au lendemain où le cycle recommence...
Rien de bien nouveau en apparence: les cumulus existent depuis la nuit des temps, les méduses depuis des millions d'années et les montgolfières depuis 1783. Ce qui est nouveau en revanche c'est le retournement de point de vue que ces considérations invitent à accomplir, un véritable changement de paradigme pour les structures.
On appelle paradigme en sciences un ensemble de croyances implicites ou explicites qui orientent les recherches. Un exemple simple sera plus parlant:
On connaît tous le pendule, un poids suspendu au bout d'un fil dont on se sert entre autres pour faire des pendules. Avant Galilée (1564-1642), une telle application à la mesure du temps était inconcevable. La physique était alors dominée par les théories d'Aristote. Englués dans ses conceptions de substance et de finalité, les aristotéliciens ne pouvaient abstraire les notions de trajectoire et de période. Pour eux un pendule n'était qu'un corps pesant entravé par un fil qui gagnait avec difficulté sa position finale de repos. Dans leur paradigme, le mouvement de l'objet ne comptait pas, seule importait son attirance vers son point d'arrivée.
Survient Galilée qui renverse complètement la perspective. Avec lui cela devient un corps qui oscille en répétant presque toujours le même mouvement. Il devient alors possible d'abstraire le concept de période. Galilée observe et découvre qu'elle ne dépend que de la longueur du fil et pas de l'amplitude des oscillations ni de la masse de l'objet suspendu. Le pendule est né et la possibilité de faire des horloges exploitant cette propriété. Galilée a changé le paradigme en portant un nouveau regard sur ce banal objet qu'est un poids suspendu au bout d'un fil et il a ainsi ouvert de nouvelles perspectives tant théoriques que pratiques.
C'est un semblable renversement de paradigme que j'invite à accomplir dans le domaine des structures architecturales où tout est basé jusqu'ici sur l'antagonisme tension-compression. Ces forces ne vont pas totalement disparaître bien évidemment tant que l'on construira avec de la matière (mais il n'est pas interdit de penser qu'un jour l'on n'aura plus affaire à elles, lorsqu'on maîtrisera mieux certains phénomènes physiques au point de pouvoir faire des barrières immatérielles, à bases d'ondes par exemple, acoustiques ou électromagnétiques comme en imaginent souvent les écrivains de science-fiction). Donc considérer que les jeux tension-compression, tout en restant présents, ne sont plus que secondaires par rapport à des phénomènes plus profonds, plus en amont. Par exemple les différences de température ou de composition dans des fluides que nous venons d'étudier, grâce à quoi se créent des surfaces de démarcation stables qui enclosent des volumes persistants. L'on sait déjà que c'est possible dans des domaines aussi différents que la Nature inanimée, le monde vivant et les constructions humaines avec respectivement les exemples des nuages, des méduses et des ballons. Toute la question maintenant est de savoir si c'est transposable à l'architecture. Mais assez de théorie, soyons pratiques à l'exemple de Galilée. Que sera notre pendule à nous? à l'évidence les structures pneumatiques, que nous reconnaissons déjà comme étant en architecture ce qui se rapproche le plus des nuages et des ballons.
De toutes les constructions étudiées jusqu'ici, celles supportées par l'air sont indéniablement les plus séduisantes du point de vue structurel:
+ une simple membrane de quelques dixièmes de millimètre d'épaisseur en guise de murs et de toit, surface de démarcation sensible qui ne rompt pas la continuité de l'espace, et pas cloison qui sépare deux mondes jusqu'à les isoler;
+ comme seul support, une faible surpression d'air du même ordre de grandeur que celle qui se crée dans un ballon par différence de densité (quelques grammes par centimètre carré).
Hélas, des défauts rédhibitoires limitent considérablement les usages:
- sont requis faute de quoi tout s'effondre: une membrane résistante et étanche, des joints tout aussi étanches, des ouvertures limitées, plus un système actif de maintien de la pression;
- sont requis faute de quoi tout s'envole des ancrages massifs;
- peu de formes possibles, et pas toujours très séduisantes.
Peut-on palier à ces inconvénients? Revenons au principe de base d'une structure supportée par l'air:
En haut et sur les côtés la pression s'exerce sur la membrane. En bas, elle s'exerce sur le sol. Entre ces deux éléments hétérogènes une jonction étanche et pesante est requise.
L'on peut rendre la jonction homogène au point de se passer d'ancrage en soudant cette membrane à une autre identique placée dessous. En introduisant de l'air sous pression, on obtient une sorte de grand coussin gonflable qui prend une forme lenticulaire:
Si maintenant on place ce coussin en hauteur sur une structure porteuse, on conserve les avantages d'une structure supportée par l'air sans la plupart des inconvénients:
C'est probablement par un raisonnement de ce genre que les concepteurs de l'ukigumo, le ˝nuage flottant˝, en sont arrivés ŕ concevoir leur structure (voir troisième partie). Le hic est que plus grand est le coussin (près de 170 m de diamètre dans cet exemple), plus grande aussi la difficulté de le maintenir en forme, donc plus grande la structure porteuse (ici près de 1000 tonnes pour un énorme anneau de compression, un moyeu, plus 52 câbles reliant les deux et enserrant le coussin).
D'où l'idée de fractionner la surface à couvrir en plusieurs coussins plus petits capables chacun de garder sa forme par la seule pression de l'air à l'intérieur. Cela implique aussi de fractionner les éléments porteurs, chaque coussin devant être maintenu individuellement. Mais cette multiplication d'éléments similaires, des modules en quelque sorte, est beaucoup plus facile à gérer qu'une seule énorme structure porteuse, tant du point de vue de la conception que de la réalisation. En outre apparaît un bénéfice inattendu puisque, ô miracle, pratiquement n'importe quelle forme devient réalisable, du cube à la sphère comme nous le verrons plus loin, étant bien entendu qu'il n'y a pas de surpression à l'intérieur de l'espace habitable.
Je ne sais si c'est par un raisonnement similaire que Jay Baldwin est parvenu à son idée de pillow dome. Toujours est-il qu'il est le premier à ma connaissance à avoir proposé d'utiliser de tels coussins gonflables comme éléments de couverture. Cela remonte à 1969. À l'époque, les dômes géodésiques étaient à la mode dans les milieux de la contre-culture californienne. Beaucoup rêvaient même de dômes transparents. Beaux rêves hélas difficilement réalisables: coûts élevés, problèmes de fuites d'eau, de contrôle de la température et de condensation, entre autres. Jay Baldwin eut l'idée de combler chaque triangle d'un dôme géodésique par des coussins de vinyle transparent. Après un prototype réussi, Buckminster Fuller lui-même en commanda un puis cinq autre furent construits. Tout fut arrêté lorsqu'ils réalisèrent que le vinyle dégazait des substances nocives. Sans parler de sa faible durée de vie, 6 ans à peine. L'idée fut donc remisée et ce n'est que dix plus tard que Jay Baldwin la reprit. Entre-temps, un nouveau matériau aux propriétés étonnantes était apparu, l'éthylènetétrafluoroéthylène, ETFE pour les intimes.
L'ETFE est un extraordinaire matériau inventé par DuPont pour la NASA. Dans les années 60-70, la course à l'espace tirait la recherche en avant. Les conditions extrêmes de l'espace (vide quasi absolu, violents écarts de température entre le zéro presque absolu du côté à l'ombre et plusieurs centaines de degrés centigrades du côté ensoleillé, rayonnements intenses, en particulier dans l'ultraviolet mais aussi X et gamma...) exigeaient des matériaux aux performances exceptionnelles (en termes également de longévité compte tenu de projets de missions de plus en plus longues, plusieurs années même puisqu'il était envisagé à l'époque d'aller jusqu'à Mars une fois la Lune conquise). Il en résulta, entre autres, le PTFE (plus connu sous le nom de marque de DuPont, le Téflon) que nous avons déjà rencontré dans la troisième partie associé au tissu de verre, et l'ETFE (nom de marque Tefzel chez DuPont, Fluon chez Asahi Glass qui s'y est mis aussi).
Le passage de l'architecture spatiale à l'architecture terrestre n'est le fait ni de DuPont ni de la NASA. Aux Etats-Unis, on le doit à l'intuition de Jay Baldwin. Hélas guère de réalisations n'ont fait suite aux siennes et les recherches semblent même s'être arrêtées.
La véritable percée est venue d'Allemagne, de Stefan Lehnert. Étudiant, il était aussi passionné de voile. En quête de nouveaux matériaux pour réaliser des voiles plus performantes, il a découvert l'ETFE. Il s'est avéré impropre à cet usage mais Lehnert a entrevu son potentiel en architecture en raison de sa transparence, de ses propriétés antiadhésives qui le rendent autonettoyant, de sa légèreté alliée à sa solidité (sa grande résistance à la déchirure va de pair avec une grande élasticité, c'est probablement ce qui le rend inapproprié pour des voiles; c'est pour la même raison que le PTFE seul ne peut être employé comme membrane pour les structures tendues mais qu'il doit être associé à un autre élément très résistant à la traction, comme un tissu en fibre de verre). En 1982 il a fondé Foiltec (http://www.foiltec.com), spécialisée dans la conception et la fabrication de produits pour l'architecture à base d'ETFE, et il a commencé à proposer des solutions à des cabinets d'architectes. Dans les années 90 les réalisations se sont multipliées, culminant en 2000 avec le très beau et spectaculaire Eden Project en Grande-Bretagne. La validité du procédé était pleinement établie. D'autres firmes spécialisées se sont créées dans les années 2000, d'autres projets ont vu le jour. Certes on est encore loin de la démocratisation (le grand public n'en a aucune connaissance et je suis sûr que la plupart des architectes non plus). Mais un cap est passé, le procédé n'a plus à faire ses preuves. Ce n'est plus qu'une affaire d'audace, d'imagination, et de savoir-faire car toute la pensée architecturale est à reconsidérer lorsqu'on travaille avec un matériau souple, une véritable membrane et plus un succédané sur base tissée. Il me semble donc intéressant de rentrer dans les détails.
Il est un fait qu'un matériau conçu pour les rudes conditions de l'espace doit se comporter très favorablement sur Terre:
durabilité
Avec maintenant près de 40 ans de recul, il apparaît que les films en ETFE ne présentent pas le moindre signe de vieillissement malgré des années d'exposition au Soleil, à la pollution, aux intempéries, etc.: aucune altération, aucune décoloration, aucune perte de résistance.
Le processus de production de l'ETFE consomme peu d'énergie et le matériau est entièrement recyclable: fondus, les films redeviennent de la résine qu'il est possible de repasser dans des extrudeuses pour refaire des films...
transparence
Les films en ETFE sont parfaitement transparents à la lumière visible (plus que le verre), avec un rendu des couleurs aussi bon qu'à la lumière du jour.
Contrairement au verre, ils sont aussi transparents aux UV (83-88% selon épaisseur). C'est sans doute parfait pour des plantes et peut-être moins pour des humains ou certains matériaux fragiles comme des tissus. Divers procédés permettent de limiter les apports solaires. J'y reviendrai.
S'agissant des infrarouges, les films présentent une forte absorption, ce qui permet, comme avec le verre, de créer un effet de serre. Efficace pour récupérer de la chaleur en hiver mais qu'il faut maîtriser en été.
inertie chimique
L'ETFE ne réagit pas du tout avec un très grand nombre de substances réputées corrosives: acides, bases, halogènes, sels métalliques en solution, etc.
Il a une faible perméabilité à la plupart des gaz et vapeurs.
Notons encore que le matériau lui-même ne dégaze pas, contrairement à de nombreux plastiques tels que le vinyle, le PVC et autres.
autonettoyant
Les films sont réalisés par extrusion, ce qui rend leur surface extrêmement lisse. Les saletés n'ont donc pas tendance à s'accumuler comme dans les innombrables anfractuosités d'un composite à base tissée.
Surtout, comme son cousin le PTFE (Téflon), l'ETFE a un fort pouvoir antiadhésif: rien n'accroche.
Donc une membrane faite dans cette matière n'attire pas la saleté, et quand saleté il y a (déjections d'oiseaux par exemple), elle tend à disparaître à la première pluie. Une telle membrane garde sa propreté et sa transparence sans nécessiter aucun entretien.
Pour les mêmes raisons la pluie et la neige glissent facilement (à condition évidemment qu'il y ait une petite pente). On observe très bien ce phénomène lorsqu'on lave une poêle antiadhésive: il suffit de la pencher pour voir glisser toute l'eau, il n'y a pas à l'essuyer, elle est déjà sèche.
Dernier avantage notable, les algues ont très peu d'affinités avec ce matériau, donc pas de risque de voir des colonies verdâtres se développer dans les coussins.
inflammabilité
L'ETFE brûle difficilement. Et comme il y a peu de matière dans une architecture à membrane (au plus quelques kilos au mètre carré si l'on emploie des coussins constitués de nombreuses couches), le feu n'est pas entretenu.
Autre avantage en cas d'incendie: les gaz chauds ramollissent le film vers 200°C, qui du coup se rétracte, ce qui l'éloigne de la source de chaleur. Et par le trou ainsi créé, les fumées s'évacuent facilement, entraînant vers le haut d'éventuelles fragments de film détachés. Il y a donc très peu de risques pour les habitants de prendre sur la tête des gouttes d'ETFE.
Remarquons d'ailleurs que partout où il est employé dans des bâtiments, y compris recevant du public, les codes de construction sont parfaitement respectés et les autorités délivrent les permis de construire.
Quelques données complémentaires: point de fusion 270°C; température de service maximale 150°C; température minimale où le matériau devient cassant -104°C.
résistance mécanique
La finesse des films en ETFE (en architecture, les coussins gonflables utilisent généralement des épaisseurs allant de 50 à 200 microns) n'empêche pas une très grande résistance, tant à l'impact qu'à la déchirure. Un bon coup de couteau va évidemment faire un trou, qui se répare facilement en soudant dessus un petit carré de film.
Ils présentent également une excellente résistance à l'élongation, 450% à la rupture.
Enfin ils se plient sans dommage et résistent même à de nombreux cycles de pliage-dépliage.
Mieux que des mesures chiffrées selon diverses normes en vigueur, des exemples concrets de sa résistance seront plus parlants:
+ Jay Balwin a utilisé le premier coussin gonflable en ETFE comme trampoline pour tester sa résistance;
+ les coussins de l'Eden Poject peuvent supporter chacun le poids d'une équipe de rugby.
Au sortir du processus de fabrication, l'ETFE est une résine. Passée dans une extrudeuse, cela devient un film mince (de 30 à 200 microns d'épaisseur). À cause de son élasticité, une seule couche d'un tel film ne peut servir de membrane pour des structures tendues. C'est pourquoi on ne les utilise qu'en coussins gonflables: on découpe des lés selon un patron, on en superpose plusieurs (de deux à cinq), et on les soude sur tout le pourtour, en n'oubliant pas d'insérer quelque part une valve pour le gonflage avec de l'air, de l'argon ou autre. Un tel coussin hérite bien évidemment de toutes les propriétés du film qui le constitue. Il présente en outre les caractéristiques suivantes:
gonflage
Une pression relativement faible suffit à donner au coussin sa stabilité structurelle et son pouvoir isolant. Pour les coussins triangulaires d'environ 1,5 m de côté de son pillow dome, Jay Baldwin injectait de l'argon sous 40 g/cm² de pression (0,5 psi). Je ne sais pas comment il a déterminé cette valeur. D'autres aujourd'hui emploient des valeurs beaucoup plus faibles bien que leurs coussins soient de dimensions plus importantes. Par exemple la firme Architen Landrell Associates (http://www.architen.com) utilise une pression de 2,24 g/cm² (220 Pa précisément).
Compte tenu de la perméabilité de la membrane (bien que faible elle n'est pas nulle) ainsi que d'inévitables petites fuites (au niveau des soudures, des valves, voire de micro-trous), un système actif est nécessaire pour maintenir la pression. Comme sur un pneu d'automobile, il s'agit seulement de maintenir la pression et pas de créer un courant d'air. Toujours selon Architen Landrell, un gonfleur électrique de la puissance d'une ampoule d'éclairage et fonctionnant 50% du temps suffit pour maintenir la pression dans 1000 m² de toit (ces gens voient grand!). En cas de panne, une pression suffisante subsiste plusieurs heures. Ensuite les coussins deviennent flasques et commencent à battre si le vent se lève, ce qui accélère la déflation. Quoiqu'il en soit, même en cas de perte totale de pression ou d'arrachement, il n'y a pas de risque d'effondrement du bâtiment parce que les coussins sont insérés dans une structure porteuse indépendante qui offre, elle, peu de prise au vent.
isolation thermique
Les coussins ont naturellement des propriétés isolantes:
nombre de couches |
coefficient K |
2 |
2,94 |
3 |
1,96 |
4 |
1,47 |
5 |
1,18 |
Un coussin de toit comportant 3 couches est plus isolant qu'un triple vitrage en position horizontale (les fabricants donnent toujours les performances de leurs vitrages pour la position verticale, plus avantageuse que l'horizontale). Une innovation de Foiltec (Texlon Nano) permet même d'atteindre la valeur remarquablement basse de 0,3 W/m²°C.
apports solaires
Une couverture entièrement faite de coussins d'ETFE transparents n'a pas que des avantages, notamment en été lorsque le Soleil frappe selon un angle proche de la verticale. Il est donc indispensable de contrôler les apports solaires. Des solutions existent d'ors et déjà:
- imprimer des motifs sur les films qui réduisent la transmission solaire;
- teinter l'ETFE dans la masse pour le rendre translucide au lieu de transparent;
- utiliser des systèmes actifs de contrôle climatique qui modifient la transmission en fonction des conditions extérieures et des besoins intérieurs.
Les recherches actuelles tendent vers cette dernière direction. Par exemple le toit de l'école Kingsdale de Londres: 2 des 3 couches constituant le coussin comportent des motifs imprimés de sorte qu'en jouant avec la pression entre les couches, on modifie la transmission solaire entre 50 et 5%.
la lumière
passe
|
|
la lumière
ne passe presque plus
|
Il est bien sûr possible d'imprimer des motifs plus élaborés que des bandes ou des carrés, jusqu'à constituer de véritables uvres d'art.
Les recherches ne faisant que commencer, il est probable que d'autres solutions seront imaginées dans les années à venir.
acoustique
Les coussins gonflables sont transparents acoustiquement parlant.
Le plus gênant est l'effet de roulement de tambour produit par la pluie qui frappe le film extérieur tendu par la pression. Les chercheurs ont conçus divers dispositifs qui atténuent ces bruits d'impacts de 20 dB et même jusqu'à 60 dB. Ce n'est certainement pas simple ni bon marché mais c'est intéressant de savoir que ça existe.
dimensions
Il semble que ce ne soit pas du tout un facteur limitant. Architen Landrell Associates propose des coussins rectangulaires de 3,5 m de large et jusqu'à 30 m de long. Des dimensions supérieures sont possibles en incorporant des renforts.
De son côté Foiltec a réalisé pour le pavillon allemand de l'exposition universelle de Hanovre en 2000 un énorme coussin de toit de près de 25 mètres de diamètre. Je ne sais si c'est le cas pour ce coussin géant, toujours est-il que cette société les conçoit en général pour des forces de succion du vent de 220 kg/m² et des surcharges de neige de 300 kg/m².
coût
L'ETFE est encore loin d'être un matériau commun que l'on trouve dans le premier magasin de bricolage venu. Une petite recherche dans Google portant sur "teflon film price" permet tout de même de se faire une idée de son prix: environ 30 dollars le mètre carré en 200 microns d'épaisseur (ou 8 mil. c'est-à-dire 0,008 pouces) pour des rouleaux de 60 cm de large sur 3 m de long (précisément 53,25 dollars en 24 pouces sur 10 pieds au premier octobre 2007). Pour des coussins constitués de trois couches, on approche des 100 dollars le mètre carré.
Il est probable qu'avec le développement de la concurrence et l'essor du marché des grands travaux ces prix vont baisser. En attendant le coût total film plus fabrication des coussins plus accessoires (gonflage, protection solaire, protection acoustique, etc.) n'est pas des plus légers pour les finances. Mais pour être juste il faut faire une comparaison globale tenant compte aussi:
+ de l'entretien, quasi nul à part le coût du gonflage;
+ de la légèreté (typiquement 750 g/m² pour un coussin à 3 couches, extérieur 200 microns, milieu 150 et intérieur 80), qui permet un moindre coût de transport ainsi qu'un allègement de la structure porteuse;
+ du fait que le coussin tient lieu simultanément de couverture, de fenêtre de toit et d'isolant.
À titre de comparaison, voici le nombre de couches qui constituent un toit traditionnel comme celui de notre maison: tuiles romaines décoratives posées sur des plaques ondulées en fibrociment elles-mêmes posées sur des voliges, le tout supporté par des tasseaux sur des chevrons qui prennent appui sur les murs de la maison, un pare pluie plus un isolant plus un pare vapeur, des tasseaux supportant le lambris intérieur de finition, sans oublier une ou deux couches de lasure ou de verni, sans parler de l'énergie et du travail dépensés pour mettre tout ça en place. La simplicité des coussins gonflables a son charme...
Eden Project
Implantée dans la banlieue de Londres et datant de 2000, c'est la première réalisation marquante dont la couverture est entièrement faite de coussins gonflables en ETFE. Il s'agit d'un ensemble de dômes géodésiques immenses couvrant près de 35 000 m² et servant de serres pour des plantes tropicales.
La carcasse est constituée de deux couches interconnectées de tubes d'acier dessinant des hexagones et des triangles du côté intérieur, des hexagones plus quelques pentagones du côté extérieur. Toute la couverture est faite de coussins gonflables de formes hexagonales (plus les quelques pentagones): 3 couches d'ETFE, 2 m de profondeur, et jusqu'à 11 m de diamètre.
Il est intéressant de savoir que l'ensemble a été conçu par le groupe d'architectes Grimshaw-Hunt-Arup avec l'assistance du cabinet d'ingénierie Buro Happold pour la conception des coussins. Or Ove Arup a beaucoup travaillé avec Frei Otto, sur la Mannheim Multihalle notamment. Quant au cabinet Buro Happold, il a été fondé par Ted Happold, lui-même un ancien de Ove Arup & partners, et il a aussi de son côté beaucoup travaillé avec Frei Otto. On peut donc dire que c'est en quelque sorte la branche britannique de l'institut des structures légères de Frei Otto qui est derrière cette réalisation. Un dernier mot: dès les années 50, Frei Otto a eu l'idée de coussins gonflables mais n'a hélas jamais rien réalisé de tel.
Allianz Arena
C'est le tout nouveau stade de foot de Munich construit à l'occasion de la coupe du monde 2006 et conçu par les architectes suisses Jacques Herzog et Pierre de Meuron. Les munichois l'ont surnommé Schlauchboot, le canot pneumatique, à cause de sa façade entièrement recouverte de coussins gonflables en ETFE.
En tout 2874 coussins maintenus gonflés par un flux continu d'air, leur surface étant constellée de petits trous pour mieux diffuser la lumière projetée par des lampes blanches, rouges, et bleues.
Pour donner une idée de l'ampleur de cette façade, le stade fait 258x227x50 m et peut accueillir un peu moins de 70 000 spectateurs.
Water Cube
C'est le surnom du centre de natation de Pékin construit pour les jeux olympiques de 2008. Conçu avec l'aide de Foiltec il utilise 100 000 m² de coussins en film ETFE bleu de 200 microns pour couvrir murs et toit. Le bâtiment ressemble à un empilement de bulles de savon.
Les coussins font jusqu'à 9 m de diamètre et 3,6 m de section sans autre soutien que sur leur pourtour.
L'ensemble est conçu pour résister à d'importantes contraintes climatiques: à l'extérieur, les rigueurs du climat pékinois (très chaud et humide en été, très froid en hiver, plus le vent, la neige, la pollution); à l'intérieur, un environnement constant à 28°C chargé d'humidité et de vapeurs de chlore.
Remarquons que si le procédé permet de remplir aussi bien un cube qu'un hémisphère, c'est que pratiquement n'importe quelle forme est réalisable.
Malgré leurs attraits, les structures à membrane tendue étudiées dans la troisième partie sont apparues guère accessibles aux amateurs à causes d'énormes difficultés de conception et de manufacture, à moins de faire un pas en arrière pour revenir à des structures à câbles tendus. Faut-il craindre qu'il en aille de même avec ce nouveau principe structural? Heureusement non.
D'abord aucun bâtiment utilisant ce procédé, aussi imposant soit-il, n'est fait d'un seul bloc. Il y a toujours plusieurs coussins, ce qui fait que chacun pris séparément est d'une taille et d'un poids raisonnables. En outre ils se travaillent souvent à plat: il suffit de découper des lès dans des films qui arrivent en rouleau et les souder. L'élasticité du matériau permet de compenser d'éventuelles imprécisions. C'est donc à la portée d'un bricoleur.
D'ailleurs les premiers essais de Jay Baldwin étaient motivés par un esprit d'autonomie et d'auto-construction que l'on ne retrouve évidemment pas dans les projets prestigieux évoqués ci-dessus, ni dans leurs suivants (comme le gigantesque centre de loisir Khan Shatyry dans la capitale du Kazakhstan). La raison peut-être pour laquelle le procédé n'a pas pris aux Etats-Unis. Les américains commencent seulement à s'y intéresser au vu des monumentales réalisations européennes et sous l'impulsion de compagnies comme Foiltec qui a maintenant une filiale là-bas.
Les grands projets ont ceci d'intéressant qu'ils montrent l'état de l'art. Force est de reconnaître qu'en quelques années de formidables progrès ont été accomplis. Reste maintenant à les ramener à une échelle plus humaine, celle des habitations. Pour l'exemple, revenons sur ce que Jay Baldwin a réussi a faire avec des moyens beaucoup plus modestes (quelques milliers de dollars contre près de 100 millions pour le Water Cube) et à une époque (1979) où les connaissance sur le matériau étaient encore limitées.
La structure porteuse est un dôme géodésique classique de fréquence 3 de 31 pieds de diamètre (un peu moins de 9,5 m) formant 3/8 de sphère (voir explications sur les dômes géodésiques dans la deuxième partie).
Les coussins ont la forme de triangles d'environ 1,5 m de côté. Ils sont faits de trois couches d'ETFE soudées avec un rebord de 3 pouces (7,5 cm) de large avec une valve dans un coin.
Les coussins sont installés sur la structure tubulaire en aluminium du dôme. Les rebords soudés des triangles s'enroulent sous les tubes et sont maintenus à l'aide de longs clamps façonnés dans des tubes PVC ouverts dans la longueur. Des rivets tous les 15 cm assurent la fixation définitive. Baldwin affirme que le procédé est fiable et assure une parfaite étanchéité (le point faible de nombreux dômes à cause de dilatations et de contractions importantes et inégales qui sont ici absorbées par la souplesse du matériau).
Les coussins sont remplis d'argon (gaz inerte, non toxique, meilleur isolant que l'air, de plus en plus employé dans les doubles vitrages) sous une pression de 1/2 psi (environ 40 g/cm²). La gardent-ils ? Lorsque le dôme a été démonté plus de 10 ans après sa construction, quelques coussins étaient encore gonflés.
La totalité de la construction pèse moins de 250 kg, soit moins de 4 kg par m² de surface au sol. Pour ne pas qu'elle s'envole, elle est ancrée dans le sol avec des blocs de béton reliés aux connecteurs inférieurs du dôme (pas d'autres fondations). Résultat: le bâtiment a supporté 75 cm de neige et des vents de plus de 150 km/h.
En 1985, Jay Baldwin estimait que, produit en masse, un pillow dome de 1000 pieds carrés (environ 90 m²) reviendrait à 12 $/ft² (130 $/m²), structure, coussins, main d'uvre et installation compris.
"En fin de compte, il apparaît raisonnable sur les plans structurel et énergétique de vivre dans le jardin et d'avoir des bâtiments qui produisent plus qu'ils ne prennent à la nature. Il y a bien sûr d'autres façons d'accomplir cela, mais le moment semble approprié pour développer les possibilités offertes par la combinaison du pillow dome, du procédé de culture agricole en intérieur New Alchemy, et de nouveaux matériaux prometteurs. Allez-y! L'idée n'est pas brevetée et ne peut l'être. Quant à moi, j'aurai mon lit par là, sous le cerisier." (Jay Baldwin, the pillow dome, Buckminster Fuller Institute 1985, traduction personnelle)
Nous sommes partis avec l'idée de concevoir des structures architecturales qui ne soient pas fondées directement sur l'antagonisme tension-compression. Avons-nous réussi? En partie seulement. Il est vrai qu'à l'heure actuelle les coussins gonflables en ETFE sont, en architecture, ce qui se rapproche le plus de cette idée:
- une pression intérieure du même ordre que dans les ballons et les nuages,
- une véritable membrane,
- qui prend forme sous la pression et n'est pas entièrement figée à la conception,
bref, c'est quasiment une surface de démarcation au sein du fluide air.
Le problème est que, dans l'état de l'art actuel, un coussin doit obligatoirement être tenu sur son pourtour. Et là on retrouve des structures plus classiques, c'est-à-dire relevant du paradigme tension-compression, même si l'on peut se permettre de les ouvrir et de les alléger en recourant notamment à des assemblages non hiérarchisés: cf. l'ossature de l'Eden Project, du Watercube et du pillow dome.
Est-il possible d'aller plus loin et d'opérer à ce niveau aussi un changement de paradigme? J'avoue que je ne sais pas. Le dilemme est similaire à celui sur lequel bute la tenségrité (voir deuxième partie):
- ou bien le nouveau paradigme en deçà tension et compression est capable d'inspirer des structures architecturales entièrement fondées dessus,
- ou bien il n'est apte qu'à suggérer des solutions partielles, réalisables au prix de quelques compromis, à l'exemple des coussins gonflables sur ossature classique.
On ne le saura évidemment qu'en poursuivant l'exploration de cette voie. Mais quelle qu'en soit l'issue, on est déjà certain de ne pas perdre notre temps au vu des constructions les plus récentes à base de coussins gonflables. Qu'elles aient été réalisées sans avoir en tête ce nouveau paradigme (je n'en ai trouvé mention chez aucun des constructeurs cités) ne change rien au fait qu'elles l'incarnent dans une certaine mesure. C'est déjà une preuve que ça marche, et le fait d'en avoir maintenant conscience ne peut que nous aider à aller plus loin. C'est ce que je tenterai de faire dans le dernier livre en l'appliquant à nos habitations.
Mais faire de l'architecture, ce n'est pas seulement résoudre des problèmes structuraux. Il y a aussi la question des formes, des sensations qu'elles procurent, de leur genèse, la question de la signification du mot habiter, des fonctions que remplit une maison, de ce qu'on y fait, etc., toutes choses et d'autres qui sont traitées dans les livres suivants...