enregistrer
le saxophone soprano
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J’ai
toujours trouvé le saxophone soprano
difficile à enregistrer, c’est-à-dire avec un rendu naturel
sans agressivité dans les aigus. J’ai essayé différents micros
de différents types dans diverses configurations sans trouver
jusqu’ici satisfaction. Certes je reconnais mes limites: mes
oreilles pas plus que mes talents d'instrumentiste ne sont parfaits, je
ne suis pas ingénieur du son, et
je n’ai jamais eu l’opportunité de tester du matériel haut de
gamme. Ceci dit je reste persuadé qu’il doit être possible de
capter correctement un saxophone soprano droit:
- avec un seul microphone (qui convienne aussi au
ténor)
- avec un budget limité
- sans complications, comme un long travail de
post-production, ou une longue chaîne d’appareils de traitement du
signal (préampli de haute qualité, filtres, compresseur, égaliseur,
voire de-esser).
D’où
vient le problème? D’abord de
l’instrument lui-même: une partie du son rayonne par le bocal vers
le bas, une autre partie vers le haut par les trous. D’où
cette recommandation fréquente: un soprano droit serait mieux capter
avec deux micros, l’un au droit des clés, l’autre dans le
prolongement du bocal. Pour avoir fait quelques essais dans ce sens,
je ne suis pas convaincu. D’une part, il y a le risque de rajouter
de l’agressivité sachant qu’une partie des aigus file le long du
tube pour sortir par le bocal. D’autre part, le son rayonné vers
le bas n’est pas perdu: il se réfléchit et est d’une manière
ou d’une autre repris par le micro situé au-dessus des clés. La
preuve: un micro placé dessus capte très bien le sib grave
correspondant à
toutes les clés fermées.
Un autre problème tient aussi à l’instrument. Pour comprendre pourquoi l’aigu du soprano peut être problématique, je me suis livré à une analyse spectrale de quelques notes. Par exemple le ré aigu:
Il
en ressort que:
- il n’y a pas grand chose au-delà de 10kHz
- l'essentiel se passe entre 1 et 8kHz (pour information, la fondamentale du
ré aigu est proche de
1000Hz).
L'accumulation de partiels en plein dans la zone de
sensibilité maximale de l’oreille conduit à considérer comme critique
l'étendue entre 2 et 6kHz. Encore convient-il de préciser que la
situation est ici relativement sous contrôle avec l'emploi d'un bec
Lebayle Jazz. Mais d'autres becs caractérisés par leur brillance
peuvent franchement irriter l'oreille.
Ce problème déjà notable en direct, et qui contribue sans doute à ce que certains n'aiment pas le soprano, est ensuite largement amplifié par les prises de son. On le comprend facilement en examinant les courbes de réponse en fréquence de trois micros devenus des classiques pour le saxophone, tant sur scène qu’en studio:
Shure
SM-57
Sennheiser
MD-421
Electrovoics EV-20
Enfin
il y a un problème plus général tenant à l'acoustique. Il faut savoir
que les fréquences aigues s'atténuent plus vite avec la distance que
les fréquences graves.Par conséquent, un auditeur moyen se tenant à
quelques mètres d'un musicien ne va pas entendre la même chose que
celui-ci, ni qu'un micro prenant le son à quelques centimètres de
l'instrument. Autrement dit, toute prise de son de proximité a tendance
à faire ressortir les aigus par rapport à une situation d'écoute
réelle. Et là encore le problème est amplifié par des micros à l'aigu
remontant.
En
fait presque tous les micros, quel que soit
leur type, présentent des remontées semblables dans l’aigu. On
peut se demander pourquoi. Les raisons en sont diverses et j’en
donne quelques unes ci-après. S’il est des cas où de telles
remontées sont bénéfiques (comme l’intelligibilité d’une voix
au milieu d’autres sons), il en est d’autres où elle est
nuisible. Ce qui marche avec les saxophones ténor et alto devient
problématique avec le soprano.
J’ai alors cherché dans un budget raisonnable
(250€ maximum) quels micros cardioïdes présentaient une courbe de
réponse satisfaisante. Deux ont particulièrement attiré mon
attention:
Oktava
MK-101
Lauten
LA-220
Il
va de soi que la seule courbe de fréquence
n’est pas suffisante pour juger de l’adéquation d'un micro aux
besoins. J’ai finalement choisi le Lauten parce qu’il intègre
des filtres, contrairement à l’Oktava: un coupe-bas à 120Hz utile
pour éliminer les résonances de salle et autres ronflements, et,
chose particulièrement rare, un coupe-haut à 12kHz utile pour
nettoyer les bruits parasites dans le haut du spectre. Quant à la
distorsion harmonique, la réponse aux transitoires, et autres
joyeusetés qui participent de la qualité d’un micro, seule
l’expérience pourra dire. Sachant qu’il n’est pas possible de
tout essayer, il faut bien se décider.
Les premiers essais se révèlent satisfaisants, tant au soprano qu’au ténor: un son transparent et sans agressivité. Ma compagne Corinne à qui je les ai fait écouter ajoute que cela sonne naturel, ce dont en tant qu’instrumentiste je ne puis juger: soufflant dans l’instrument, je ne l’entends jamais comme l’entend un auditeur.
Remarquons en passant qu’il est rare que l’on sache comment sonnent pour de vrai les musiciens que l’on aime. La plupart du temps on ne les connaît qu’à travers des enregistrements. Et quand on a la chance d’assister à un concert, c’est presque toujours à travers un système de sonorisation, sans compter que notre saxophoniste préféré joue au milieu d’autres musiciens...
Pour
en revenir au Lauten LA-220, j'ai enregistré
quelques échantillons:
- l'adagio du concerto pour hautbois de Marcello est bien approprié
pour mettre en avant le second registre du soprano, et même plus
particulièrement le haut de ce second registre;
- les deux autres pièces exigent davantage d'acrobaties pour couvrir une grande étendue, de do# grave
à sol aigu pour l'une, et de si grave à
fa aigu pour l'autre: ces deux pièces sont ensuite reprises au ténor;
- il s'agit des captations brutes, sans aucun traitement, ni dans la chaîne du signal ni après-coup;
- il va de soi que les écouter sur un ordinateur
portable voire un smartphone ne permettra pas de bien juger.
sop_marcello.mp3 écouter "soprano marcello" nécessite flash player |
saxophone soprano adagio du concerto pour hautbois de Marcello |
sop_motian.mp3
écouter "soprano motian" nécessite flash player |
saxophone soprano |
sop_jarrett.mp3
écouter "soprano jarrett" nécessite flash player |
saxophone soprano d'après Keith Jarret, rotation |
tenor_motian.mp3
écouter "ténor motian" nécessite flash player |
saxophone
ténor d'après Paul Motian, folk song for rosie |
tenor_jarrett.mp3
écouter "ténor jarrett" nécessite flash player |
saxophone ténor d'après Keith Jarret, rotation |
détails techniques
soprano
Selmer mark VI, bec Lebayle Jazz 7,
ligature Rovner Versa, anche Vandoren Java Rouge 2,5
micro protégé sur l'arrière et les côtés par un écran acoustique,
dirigé sur l’annulaire droit à environ
30cm, branché sur l’entrée mic (niveau 11h) du loop-station Boss
RC-50 qui sert d’enregistreur, monitoring au casque Audio-Technica
ATH-TAD300
ténor
Aizen, bec métal Lebayle LRII 7*, ligature
GF maxima, anche Vandoren Java Rouge 2
micro pointant sur le petit doigt main gauche à
environ 35cm, branché sur l’entrée mic (niveau 10h30) du
loop-station Boss RC-50
Les
raisons de la présence quasi systématique de
pics dans l’aigu sont diverses, certaines si lointaines qu’un
retour en arrière semble difficile (tout comme il est devenu
impossible d’abandonner le clavier azerty pourtant pas ergonomique
du tout).
Du temps de l’enregistrement sur bande, les
choses étaient très différentes:
- les magnétophones avaient des faiblesses
reconnues dans l’aigu,
- amplifiées par le phénomène d’auto-effacement
des hautes fréquences.
Un des raisons sans doute du caractère ‘chaud’
d’anciens enregistrements sur bande. Bref, en ce temps-là, une
remontée dans l’aigu du micro pouvait s’avérer carrément
bénéfique.
Le
passage de l’analogique au digital ne s’est
pas traduit par une mise au rebut de tous les micros. On n’a pas
cherché non plus à rendre leurs courbes de réponse plus plates
parce que beaucoup de musiciens y trouvaient leur compte. A
commencer par les chanteurs: ces pics dans l’aigu dit de ‘présence’
dans la zone 3-10kHz permettent de rendre une voix plus intelligible
dans un mix. Mais ce n’est pas sans poser de nouveaux problèmes:
- hors de ce contexte, la voix ne sonne plus naturelle du tout;
- ces pics accroissent la sibilance, d’où
l’invention d’appareils appelés de-esser pour l’atténuer;
- en live, ils augmentent aussi le risque de larsen (d'où des
anti-larsen!);
- comme presque tous les micros sont ainsi faits,
il se produit une fuite en avant, chacun cherchant à se faire
entendre par-dessus les autres.
Cette surabondance d’aigus associée à des
niveaux d’écoute élevés finit par rendre l’oreille impotente.
Au bout du compte, ces déformations du son n’ont plus guère
d’importances quand on n’entend plus rien. Sauf pour ceux qui
n’ont pas les oreilles complètement défoncées.
Autre
raison à la présence de pics dans l’aigu
de la plupart des micros: en tant que systèmes mécaniques vibrants,
les membranes présentent des fréquences de résonance propres. Pour les micros à ruban c’est plutôt dans le
grave (d’où un son empâté quand ils ne sont pas de bonne
qualité). Pour les dynamiques c’est en général dans le haut
médium et le bas de l’aigu (disons 2-6kHz pour fixer les idées). Et
carrément dans l’aigu pour les
micros à condensateur. Des conceptions soignées permettent
d’atténuer ces défauts, mais jusqu'à un certain point seulement et cela
a un coût.
La course aux bas
coûts est d’ailleurs à
l’origine d’un autre problème. Certes elle a contribué à la
démocratisation de la musique en home-studio, mais pas forcément à
l’amélioration du son. L’histoire du micro à condensateur est à
ce titre exemplaire (les informations suivantes sont pour l’essentiel
tirées de cet article bien documenté: Why Many Condenser Mics Are Too Bright and
Sibilant? )
Le micro à condensateur a été inventé par
Neumann pour la radio. Le rapport signal-bruit était alors si faible
(24dB) que les ingénieurs ont cherché des moyens de rendre la
parole plus intelligible. Une solution était d’augmenter le niveau
des aigus à la captation, pour la diminuer plus tard afin de
retrouver une courbe de réponse plate (le fameux Dolby NR des
magnétophone à cassette utilisera plus tard le même principe).
Arrivent les plus célèbres des micros, les U67
et U87 de Neumann. Leur capsule intègre un boost des aigus, lequel
est ensuite corrigé par l’électronique du micro.
Via leurs camarades d’Allemagne de l’est, les
chinois se sont dès les années 50 emparés de la technologie des
micros à condensateur pour en faire d’excellentes imitations.
De son côté, une autre firme allemande, Schoeps,
invente un circuit électronique moins cher à produire. Sa courbe de
réponse est plate parce qu’il a été conçu pour s’associer à
des capsules sans pics prononcés dans l’aigu.
Quand des firmes occidentales ont commencé à
sous-traiter en Chine la production de micros à condensateur, c'était
pour copier
les Neumann, et ils ont évidemment exigé des fournisseurs des prix
aussi bas que possible. D’où, pour aller au plus simple,
l’invention d’hybrides avec des capsules imitant les Neumann à
l’aigu remontant, associées à des circuits s’inspirant des
Schoeps. Résultat: une foule de produits avec des aigus irritants!
Et pour vendre davantage, on évite de s’attaquer aux causes du
problème et on invente des solutions coûteuses et inappropriées:
cf. cette mode stupide des micros à tube et des préampli à tube
censés redonner la chaleur perdue, perte dont est accusée à tort
la numérisation. Nulle surprise si chemin faisant le son a perdu
beaucoup de son authenticité!
Tout ça n'empêche
pas ce Lauten La-220 qui me donne satisfaction d'être fabriqué en
Chine...